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Publié lundi 9 novembre 2020 | Mis à jour le vendredi 12 mars 2021
Fête au village
Je suis venu en voisin pour célébrer chez vous. Parce qu’en fait, la Toussaint c’est la fête des voisins. Tous ceux que l’Église s’est amusée à épingler dans le calendrier romain habitent quelques maisons plus loin. Nous sommes de la même rue, nous parlons la même langue. Ils habitent simplement sur le trottoir d’en face…
Ils ne sont pas envahissants. Ils ne nous demandent pas de leur ressembler. Leur maison, c’est leur maison, et la nôtre c’est la nôtre : chacun chez soi. Mais il est bon de les savoir pas loin de nous.
Ils ont bien avant nous suivi Celui que nous essayons de suivre. Ils ont vécu de Lui comme nous essayons, vaille que vaille, de vivre dans son Souffle. Ils ont joué – chacun – une de ses couleurs.
• Dans la rue de la Simplicité, il y en a eu qui ont peint leur vie de la béatitude des pauvres de cœur. Leur pauvreté n’a pas d’abord été celle d’un portefeuille. Elle a été « du cœur » : refus de l’orgueil et de la suffisance. Elle les a engagés dans le refus de la cupidité, de l’ambition d’avoir toujours plus. Ils savaient bien que l’amour ne peut que se partager.
• Dans la rue des Sanglots, il y a eu ceux qui ont pleuré toutes les larmes de leur corps de voir que l’Amour n’est pas aimé. Ce n’étaient pourtant pas des pleurnichards, ni des gens souffrant d’un deuil. Ils ne supportaient pas l’état du monde avec ses haines et ses désastres. A en pleurer.
• Dans la rue de la Douceur, il y a eu quelques « gros durs » et quelques mous qui se sont laissé faire par Lui, jusqu’à en devenir tendres. Des frères. Des sœurs. Aimants.
• Dans la rue de la Justice, il y a eu des assoiffés, des impatients, des désireux. Ils ont ouvert quelques guinguettes où tant de gens ont trouvé de quoi boire, manger, danser leur vie. Les voilà rassasiés.
• Dans le quartier du Grand Pardon, il y a eu des miséricordieux, ceux qui ont osé croire que l’autre est bien plus grand que ce qu’il donne à voir, et que personne ne peut être limité à ce qu’il fait : ceux-là ont obtenu ce qu’ils savaient donner.
• Dans une petite rue étroite, il y a eu des cœurs purs, des gens sans entourloupe, sans artifice, sans stratagème. De cette rue-là, paraît-il, par temps clair, on voit Dieu…
• Sur la place de la Paix, ils ont vécu nombreux et ils n’ont pas chômé. Plaise à Dieu que d’autres les rejoignent… Ils n’ont souvent pas fait grand bruit, ils ont bâti la paix, pierre après pierre. Ils ont souri contre la colère. Ils ont tenu leurs mains ouvertes devant des poings fermés. Ils se sont engagés quand tant de gens se résignaient.
• Au palais de la Justice, se sont retrouvés tous les persécutés. Ils ont reçu leur récompense…
Oh, bien sûr, tous ces voisins que sont les Saints de nos calendriers, on peut les imaginer faisant triomphalement le tour du village, comme « une foule immense, que nul ne pourrait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues ». Avec la folle imagination de saint Jean, on peut les voir « debout, devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main ». On peut…
Je préfère les penser, tous ces hommes et toutes ces femmes, d’hier à aujourd’hui, recueillis, ressaisis dans le Souffle Saint, pleinement là ; guéris de tout ce qui les a blessé, consolés de tout ce qui a pu les humilier, cicatrisés par la tendresse du Père.
Semblables à Lui, le voyant tel qu’il est. Et se voyant comme pour la première fois – et définitivement – dans la grande Vérité et la belle Plénitude de leur être.
C’est quelque chose comme ça, la fête la Toussaint.
Comme une fête de village où les frontières sont abolies entre toutes les générations.
Une fête où des cousins se retrouvent et ont plaisir à se tenir ensemble à la même table : celle du Père. Village du ciel et de la terre…
Quoi tirer de cette fête importante que l’Église nous pousse à célébrer ?
La belle confiance pour nous de ne pas être seuls, prisonniers de notre temps.
Nous ne sommes pas seuls. Des hommes et des femmes, connus et inconnus, se tiennent à nos côtés.
A côté de Thérèse et de Jean, de Madeleine et de Benoit, de Dominique et de Catherine, de Charles et de François, il y a des mamies, des grands pères, des voisins, des collègues, des frères, des sœurs, des gens partis trop tôt, tant de gens dont la Grande Histoire ne retiendra pas le nom. Ils sont dans la Lumière, cachés en Dieu. Ils nous tiennent en eux devant l’Amour. Nous sommes de leur village.
Alors se brisent les frontières du temps. Et s’ouvrent nos oreilles à la douce mélodie de l’Amour que la création tout entière murmure chez les vivants comme chez les morts.
Dans cette fête du village éternel que nous vivons ce matin, nous n’avons qu’à nous offrir les uns aux autres et à nous présenter ensemble devant le Christ, notre Ami. La bonne nouvelle, c’est qu’eux et nous, nous nous disions en contemplant nos existences « quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. »
Oui, eux hier, nous aujourd’hui, « nous avons connu l’Amour et nous y avons cru… »
Raphael Buyse / 1 novembre 2019