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Ça, c’est tout moi…

Ça, c’est tout moi…

Quelque chose se prépare.
Jésus est recherché. Il faut voyager de nuit.
Les politiques et les religieux n’en peuvent plus de la liberté de ce Galiléen qui traine dans la Ville. Ce qu’il dit de la bonté de Dieu, de sa confiance en l’homme, de son accueil des gens de peu et des exclus s’oppose à tout ce qu’ils prônent.
Les déplacements du petit groupe sont surveillés. Se réunir devient dangereux.
Ils veulent le faire taire. A tout prix.
Ce sera, dit-on, pour trente deniers. Du trois fois rien…
Il aimerait tant que ces disciples comprennent ce qu’il a tenté de leur dire depuis des mois. Il en aurait tellement encore, des choses à dire. Tant de gestes à poser. Mais il sait bien que son temps est compté. Il ne lui reste que cette soirée, comme un souper de la dernière chance : il leur dira ce qui lui tient le plus à cœur.
Ses disciples s’attendent à ce qu’il leur dise des choses graves, mais sûrement pas à ce qu’il enfile un tablier de serviteur ramassé dans l’arrière-cuisine, qu’il se mette à genoux devant eux et leur lave les pieds.
L’un d’eux se rebiffe : décidemment, il ne veut pas comprendre ! Jésus insiste : il se laisse finalement faire.
Ils apprennent dans ce geste qu’il les attend pour rafraichir la vie des autres en mémoire de Lui. « Ce que je viens de faire, faites-le à votre tour ». Il faudra donc qu’ils continuent.
La suite se passe à table.
Il prend un quignon de pain. Il rend grâce pour ce pain car il sait bien que tout est don. Ce pain qu’il leur présente, c’est bien plus que du pain : c’est toute sa vie, tout un réseau de relations comme une mie serrée, aussi dense que ce qu’il a vécu pendant toutes ces années. Un jour, on dira : « fruit de la terre et du travail des hommes ».
Il le partage en leur disant : « ça c’est tout moi ». On dira qu’il a dit : « Ceci c’est mon corps, livré pour vous » ou quelque chose comme ça.
Ce qu’il veut en tout cas dire, c’est que toute sa vie a été comme du pain pris, béni, rompu et partagé. Et que toute vie – jusqu’à aujourd’hui même – est prise, bénie, souvent rompue et appelée à être donnée pour que d’autres vivent. C’est le sens même de l’existence.
Il prend ensuite un cruchon de vin qu’il verse dans une coupe. Sa vie, c’est un vin de fête qu’il fait goûter, le vin précieux d’une noce éternelle entre l’humanité et Dieu. La coupe qu’il a bénie passe aux lèvres de chacun : on ne boit jamais que dans le verre de qui on a toute confiance. Cette coupe qui passe de main en main, c’est celle de sa vie mise en partage depuis longtemps et pour toujours. On dira : « signe de l’alliance nouvelle et éternelle » : on a chacun ses mots…
« Vous ferez cela en mémoire de moi ».
Ce repas les dé-confine. Il vient de réinterpréter devant eux le rite de Pâques et de leur ouvrir un à-venir. Cette nourriture leur rappellera qu’ils seront Lui. Il ne les laissera pas.
Les quelques gestes simples qu’il vient de poser – gestes qu’ils referont en mémoire de lui – scellent sa communion définitive avec ceux qu’il appelle ses amis. Il n’y a aucune demande d’adoration.
Depuis ce soir-là, lorsque nous fractionnons le pain et buvons à la même coupe, nous nous souvenons qu’il nous confie le soin de devenir Lui, tout Lui : sa parole bienveillante, ses gestes de relevailles ; et sa façon de voir le monde, les pauvres, les femmes, la Loi, la religion, et Dieu lui-même… Son sang coule dans nos veines : c’est à dire sa vie, son énergie, sa détermination à vaincre toutes les formes de mort…
Dans chaque eucharistie célébrée en mémoire de lui, nous intégrons en nous sa force, son espérance. Nous sommes confiés les uns aux autres pour poursuivre son œuvre. Il n’y a plus qu’à joindre les actes à la parole.
Que ce soit clair : personne ne sera jamais assez sale, mal-croyant ou différent pour être refusé à ce souper. Personne ! Il a montré que, dans la communauté qu’il aime, on se lave mutuellement les pieds. Il n’y a pas de gens indignes de s’asseoir à sa Table. Il ne peut y avoir, dans son Eglise, que des indignés devant la possible bêtise humaine.
La Bonne Nouvelle est là : nous sommes son Corps. Un Corps que nous rendons paradoxal par nos blessures, nos torpeurs, nos lâchetés et nos scandales, nos fermetures et nos auto mutilations.
Mais ce Corps est marqué tout autant – dirais-je d’abord ? – par l’engagement de tant et tant de disciples de Jésus, à l’aise ou pas à l’aise avec toutes nos institutions, bien au-delà des frontières de l’Église, au service des plus petits, des plus souffrants, des plus désespérés.
Il a tout dit, dans ce dernier repas.
Sa vie. Et la nôtre.
Et tout est bien plus simple que ce que nous en avons fait.
Le voile qui recouvrait les yeux des disciples fatigués commence à se déchirer…

Raphaël Buyse
9 avril 2020

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